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À Gaza, y a-t-il des marchés "remplis de nourriture", éloignant tout risque de famine ?

Publié le 1 mai 2024 à 14h40

Source : TF1 Info

Selon une vidéo, les étals des rues de Gaza sont remplis de nourriture.
Les images sont authentiques et ont été tournées dans le centre de l’enclave.
Elles ne remettent pas en cause pour autant la famine que vit la population.

Les marchés de Gaza "regorgent-ils de nourriture à vendre", comme le laisse entendre une vidéo postée sur le réseau social X ? Selon ce compte, ces produits seraient même de l’aide alimentaire détournée. L’objectif d’une telle publication, qui n’est pas la première du genre sur ce profil, est clair : minimiser l'ampleur de la famine à Gaza, sur laquelle alertent l’ONU et les ONG sur place. 

Cette vidéo a été postée à l’origine sur TikTok, le 21 avril dernier. Elle provient du compte "gazzzawya", tenue par une habitante de Gaza qui y relate son quotidien en pleine guerre. La jeune femme indique se trouver à Deir al-Balah, ville située entre celles de Gaza et de Rafah. 

Un marché dans la bande de Gaza, alors que la population subit la famine de plein fouet
Un marché dans la bande de Gaza, alors que la population subit la famine de plein fouet - TikTok

Parmi ses nombreuses vidéos postées, celle de ce marché où elle déambule et explique : "Le marché est plein, le marché est plein de légumes, de nourriture et de gens, mais pensez à combien d'entre vous peuvent acheter au marché, combien d'entre vous ont les liquidités pour acheter tout ce qu'ils ont dans la main ?". Par ailleurs, cette Gazaouie ne montre pas seulement des marchés pleins à craquer et une vie aux apparences de normalité. Elle filme aussi, comme dans cette vidéo, les conséquences des bombardements israéliens avec ses bâtiments détruits à Deir al-Balah.

Un marché de Deir al-Balah

D'après nos recherches, ces images ont été effectivement tournées dans l'un des marchés de la ville de Deir al-Balah. Plusieurs détails visuels l’attestent. Celui d’une enseigne tout d’abord, dont le nom apparait nettement à la 26ᵉ seconde. Aux côtés du dessin d'une tour Eiffel, on peut lire en arabe "Étoile de Paris", ce qui correspond à une boutique de cosmétique et d’accessoires située à Deir al-Balah, comme indiqué sur son compte Facebook. L’enseigne s’est également fait photographier fin novembre par la chaine qatarie Al-Jazeera, qui rendait compte de l'inflation sur les marchés de la ville. 

La boutique de cosmétique "Étoile de Paris" dans la ville de Deir al-Balah, à Gaza
La boutique de cosmétique "Étoile de Paris" dans la ville de Deir al-Balah, à Gaza - TikTok (capture écran)

Ensuite, des images prises par l'agence Associated Press (AP) le 7 avril sur un marché de la ville correspondent à celles que nous analysons. On y trouve par exemple les mêmes parasols plantés le long des étals. Une enseigne, située à droite de la première femme interrogée par AP, est identique à celle derrière la Gazaouie qui se filme. La fenêtre du magasin est tout aussi similaire. 

Selon toutes vraisemblances, cette vidéo est récente : le compte "gazzzawya" a l'habitude de raconter son quotidien au jour le jour. Partant de ce principe, comment expliquer que l’on rencontre des étals pleins à craquer dans la bande de Gaza, confrontée à une famine aggravée dans les prochaines semaines ? 

Une aide quasi-nulle au nord

Ces produits sont pourtant bien achalandés dans les marchés ambulants. Certains proviennent des rares cultures locales qui n’ont pas été détruites et des quelques stocks restants des commerçants. Mais aussi du détournement de l’aide alimentaire, comme le documente le New York Times à partir des récits de trois familles cherchant à se nourrir. L’Unrwa (l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens), auprès de Libération, dit constater "depuis quelques semaines, la formation de réseaux ou groupes qui organisent le pillage de certains convois humanitaires".  

La même enseigne située à Deir al-Balah, visible sur des images d'AP du 7 avril et sur celles postées sur TikTok le 21 avril
La même enseigne située à Deir al-Balah, visible sur des images d'AP du 7 avril et sur celles postées sur TikTok le 21 avril - AP / TikTok

Une aide alimentaire qui, on le rappelle, arrive au compte-goutte dans le sud de l'enclave et n’atteint presque jamais le nord. "Avant le début de ce dernier conflit, 500 camions transportant des fournitures commerciales et humanitaires entraient chaque jour à Gaza. Aujourd'hui, ce nombre est tombé à une moyenne de 98 camions ce mois-ci, qui sont tous entrés dans l'enclave par les points de passage de Rafah et de Karam Abu Salem (Kerem Shalom)", soulignait l’ONU en février. 

Les Gazaouis peinent donc à s’alimenter avec cette aide qui leur parvient et ne peuvent surtout pas s’offrir les produits vendus à prix d'or par les commerces ambulants. L’économie a aussi été décimée par la guerre et l’inflation atteint des niveaux records. Par exemple à Rafah, les oignons coûtent désormais 50 fois plus cher qu’avant la guerre, tandis qu’un sac de 25 kg de farine peut se vendre jusqu’à 324 livres (379 euros), selon l’ONG Christian Aid. La famine de la population est à présent "utilisée comme arme de guerre", alerte un responsable de l'organisation.

Les oignons 50 fois plus chers

Sur une carte régulièrement mise à jour, la Classification intégrée de la phase de sécurité alimentaire (IPC) indique que le nord de la bande de Gaza se situe aujourd’hui en phase 5 d’insécurité alimentaire, soit en situation de famine avec "des preuves raisonnables". Le reste de la bande de Gaza, à partir de la localité de Nuseirat, se place en situation d’urgence 4, un niveau en dessous. Cela ne veut pas dire que la famine n’existe pas plus au sud, là où se trouve Deir al-Balah. 

En résumé, l'inflation rencontrée sur place concorde avec les propos de la Gazaouie à l’origine des images du marché de Deir al-Balah. Par ailleurs, ces images ne remettent pas en cause la situation humanitaire dans la bande de Gaza, plus catastrophique au nord mais restant préoccupante au sud, où toute la population s’est réfugiée. Selon l'IPC, la localité de Deir al-Balah tout comme celles de Khan Younis et de Rafah restent confrontées à un risque de famine jusqu'en juillet 2024.

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Caroline QUEVRAIN

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